Doctrine Juridique |
Windows & Internet : Dans notre précédant numéro, nous avons commencé à aborder la question du « Big Data ». Pouvez-vous poursuivre vos explications en matière d’exploitation des données ?
Maître Frédéric Guénin : L’exploitation d’un nombre toujours croissant de données permet de suivre n’importe qui, « normalement connecté », à la trace : sites web visités bien sûr, mais aussi géolocalisation avec la possession d’un téléphone portable, usage de la carte bancaire, etc. Bien sûr, la loi « Informatique et Libertés » de 1978 soumet à l’autorisation de la CNIL les interconnexions de traitements de données à caractère personnel et punit pénalement les détournements de finalité. Mais, d’une part, certains géants de l’internet sont situés dans des pays qui ne connaissent pas les contraintes du droit français, d’autre part, leurs conditions générales stipulent que les clients de leurs services acceptent les usages qu’ils font de leurs données. Enfin, certains sites exposent rendre anonymes les données qu’ils collectent. Ceci étant dit, nul ne peut sérieusement ignorer qu’à force de recouper des données anonymes, elles ne le restent pas… C’est tout l’enjeu du droit actuel : trouver un juste équilibre entre les libertés individuelles et maintenir une capacité d’innover suffisante pour permettre l’émergence de nouveaux acteurs et services numériques.
Windows & Internet : Identifiés à chaque connexion, à chaque clic, directement ou indirectement, quel est, de manière prospective, l’avenir des services dits en ligne pour leurs utilisateurs ?
Frédéric Guénin : Je pense que l’on se dirige de plus en plus vers un internet, non plus uniformisé, mais personnalisé. De l’Internet (avec un I majuscule) où l’information se cherchait sur des sites statiques, ce média a permis aux internautes d’être des fournisseurs de contenus (Web 2.0) utilisant des services dynamiques d’échange en temps réel. A présent, le Big Data permet aux exploitants de ces services connectés (songez que dans certains pays le principal moyen d’accès à l’internet est le téléphone mobile) de fournir des contenus créés dynamiquement en fonction du profil de l’internaute. Pour schématiser, la même requête tapée sur un site par deux personnes n’a plus la même réponse. Sans forcément en être dupe, l’internaute est dans l’illusion d’une totale liberté de navigation et d’accès aux services alors qu’en réalité, les contenus présentés ne le seront que parce que des calculs prédictifs d’algorithmes complexes exploitant des « big data » auront déterminé que c’était le contenu à lui présenter. Interrogeons-nous sur ce que devient au bout d’une ou deux générations une société dans laquelle le libre arbitre n’existe plus vraiment…
Maître Frédéric Guénin, est avocat au sein du département Propriété intellectuelle & Technologies de l’information du Cabinet Hoche Société d’avocats.
Article publié pour la première fois dans la revue Windows & Internet, n°8, septembre 2013
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