Doctrine Juridique

Décoration d’intérieur cuisines, salles de bain, dressings, salons, quelle protection ?

La décoration d’intérieur donne lieu à une féroce compétition économique entre les nombreux acteurs du marché. D’une part, entre les concepteurs et fabricants de meubles, d’autre part, entre les distributeurs et, enfin, entre les architectes d’intérieur. Certains de ces acteurs cumulant deux de ces rôles voire les trois. Certains sont spécialistes des cuisines (on a même créé le nouveau mot « cuisiniste »), d’autres des salles de bain, d’autres encore des salons et séjours.

Quel rôle la propriété intellectuelle joue-t-elle ?

En premier lieu, il faut rappeler que le droit de la propriété intellectuelle est protéiforme. Il suffit de consulter le Code de la propriété intellectuelle pour s’en convaincre : droits d’auteur, droits voisins, droit sui generis des bases de données, droit des marques, droit des brevets, droit des dessins et modèles, etc.

En second lieu, le droit de la propriété intellectuelle permet un cumul de protections. Ce qui permet de constituer de multiples « barrières à l’entrée » à l’encontre de ses concurrents.

Ainsi, tous les fabricants et distributeurs disposent d’une marque voire d’un portefeuille de marques, en fonction de l’étendue de leurs gammes de produits. Cela est moins vrai des architectes d’intérieur, correspondant en général à de petites officines de conseil en cheville avec un ou quelques fabricants. Compte tenu de leur marché très local, ceux-ci répugnent le plus souvent à dépenser dans le dépôt d’une marque.

Le droit des dessins et modèles protégera les créations de mobilier. Cette protection pourra porter sur le meuble en son entier ou sur l’un de ses éléments seulement, telle la poignée d’une porte d’un meuble d’un dressing ou d’un four, ou encore la corniche des meubles d’une cuisine ou d’une salle de bain.

Tout comme pour le dépôt d’une marque, le dépôt d’un dessin et modèle exige le paiement d’une taxe à l’INPI (Institut National de la Propriété Industrielle).

Si le droit des marques confère un titre de propriété pour 10 ans sur une dénomination, un logo ou l’association des deux, le droit des dessins et modèle ne confère de protection que pendant 5 années. Par ailleurs, la protection d’une marque pourra être renouvelée indéfiniment tous les 10 ans, alors qu’un titre de dessins et modèles ne pourra être renouvelé que 4 fois, soit pour une durée de protection totale de 25 années (article L. 513-1 du Code de la propriété intellectuelle).

Le droit d’auteur peut-il être invoqué pour protéger tout ou partie de l’aménagement intérieur d’une pièce comme une cuisine, une salle de bain ou un salon ?

Il faut distinguer. L’objet de la protection par le droit d’auteur peut être un meuble. Et ceci indépendamment d’une protection de ce même meuble (ou d’un de ses éléments) par un titre de dessins et modèles. C’est là l’application du principe de cumul de protection.

Toutefois, les conditions d’accès à la protection ne sont pas identiques entre le droit des dessins et modèles et le droit d’auteur.

Le droit des dessins et modèles protégera l'apparence d'un produit, ou d'une partie de produit, alors que le droit d’auteur protégera l’originalité du meuble.

L'apparence d'un produit, ou d'une partie de produit, est caractérisée en particulier par ses lignes, ses contours, ses couleurs, sa forme, sa texture ou ses matériaux. Ces caractéristiques peuvent être celles du produit lui-même ou de son ornementation.

Seul peut être protégé le dessin ou modèle qui est nouveau et présente un caractère propre.
La nouveauté est acquise si, à la date de dépôt de la demande d'enregistrement ou à la date de la priorité revendiquée, aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué. Des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants.
Le caractère propre est établi lorsque l'impression visuelle d'ensemble que le dessins ou modèle suscite chez l'observateur averti diffère de celle produite par tout dessin ou modèle divulgué avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement ou avant la date de priorité revendiquée.

En revanche, l’originalité est définie, non pas comme la nouveauté, mais comme l’empreinte de la personnalité de l’auteur. Si la nouveauté est un élément objectif en ce qu’il est datable dans le temps, l’originalité fera appel au ressenti des juges qui disposent d’un pouvoir d’appréciation souverain en la matière.

L’objet de la protection par le droit d’auteur peut être l’aménagement même de la pièce et pas uniquement tout ou partie des meubles qu’elle contient.

En effet, l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle dispose :
« Sont considérés notamment comme œuvres de l'esprit au sens du présent code :
(…)
7° Les œuvres de dessin, de peinture, d'architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie ;
8° Les œuvres graphiques et typographiques ;
(…)
12° Les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l'architecture et aux sciences ; »

Or, les architectes d’intérieur, après avoir pris les mesures de la pièce à aménager, disposent presque tous à présent de logiciels de simulation en trois dimensions (3D). Une fois les dimensions de la cuisine ou du dressing, par exemple, renseignées dans le logiciel, celui-ci fournit une simulation de l’aménagement final, en fonction de la taille des meubles, de leurs couleurs. Le client se basera sur ce rendu, très réaliste, pour demander des modifications dans le choix des meubles (coloris, volumes), leur positionnement dans la pièce à aménager, leurs accessoires…

Par application de l’article précité, les œuvres de dessins, d’architecture et, plus généralement, les œuvres graphiques, mais aussi les plans sont protégeables, sous réserve de leur originalité.

Ce qui présente un grand intérêt pour les architectes d’intérieur.

En effet, le droit d’auteur n’exige aucun dépôt auprès de l’INPI. C’est dire que sa protection bénéficie à tout créateur de manière gratuite, dès l’instant de la création, et ce n’est pas là sa moindre vertu !

Il convient toutefois de prendre un certain nombre de précautions.

On recommandera notamment d’insérer dans les conditions générales de vente ou de prestations de services une clause stipulant que le travail créatif de l’architecte d’intérieur fait l’objet d’une protection par le droit d’auteur. Le mérite d’une telle stipulation sera essentiellement didactique puisque le droit d’auteur trouverait à s’appliquer par effet de la loi quoiqu’il arrive. Mais elle rappellera, par exemple, qu’un projet sur lequel aura travaillé l’architecte d’intérieur, ayant conduit à la création d’un ou plusieurs plans, mais sans aboutir dans l’installation des éléments (meubles de cuisine, de salle de bain, d’un dressing…), pourra donner lieu à des poursuites judiciaires en cas de reprise par le client ou un autre prestataire se contentant de le mettre en œuvre. Pour un projet très important, on pourra songer également, et pour un prix modeste, au dépôt d’une enveloppe « Soleau » avec l’ensemble des plans de l’aménagement intérieur.

Bien entendu, le fait d’obtenir, pour un architecte d’intérieur, une protection sur l’œuvre originale que constitueraient les plans d’une cuisine, d’une salle de bain ou d’un dressing, ne saurait lui conférer de droit de propriété intellectuelle sur les créations originales de tiers, c’est-à-dire sur les meubles des fabricants.

Frédéric GUENIN, avocat

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