Doctrine Juridique |
A l’heure où le succès des réseaux sociaux ne se dément pas, un concept nouveau est dégagé par la pratique contentieuse : celui de l’identité numérique.
Identité numérique et non virtuelle, tant le préjudice que peut subir la personne du fait d’une atteinte portée à son identité n’a rien de virtuel.
Si les médias se sont largement fait l’écho des litiges relatifs à l’identité numérique des personnes physiques, les cas impliquant des personnes morales (des entreprises, associations, etc.) se multiplient également.
Pour ce qui concerne les personnes physiques, les cas les plus courants consistent dans des pages web, blogs et autres messages laissés sur la toile par la personne concernée elle-même qui ne sait plus (ou ne peut) les modifier sinon les ôter. Ils consistent également dans des contenus déposés par des tiers qui citent le nom d’une personne ou présentent une ou plusieurs photographies, voire films, rarement sous le meilleur profil.
La différence entre le monde réel et le monde virtuel tiendrait donc essentiellement dans ce que le premier a de fugace et le second de mémoriel. Alors que le souvenir évanescent des participants à une soirée entre étudiants bien arrosée s’efface, l’internet retiendra et offrira au monde entier et pour des années, les clichés peu enjôleurs d’un participant, contrôleur de gestion, médecin ou avocat alors en devenir.
L’identité numérique peut se définir comme la somme des informations, dont le degré de véracité est variable, relatives à une personne, physique ou morale, rendues disponibles sur l’internet par la personne elle-même ou par tout tiers, et qui concourent à identifier une personne réelle, décrire ses activités, habitudes de consommation et cercles de connaissances, en ligne ou non. Mais peut-on encore parler d’identité, peu importe qu’elle soit numérique, lorsque le profil créé ne correspond à aucune personne réelle ?
Les grandes marques ont bien compris les ravages qu’un « post » un tant soi peu critique sur un blog peut faire auprès d’un segment de clientèle. Elles n’hésitent pas à agir devant les tribunaux et, plus encore, sur la toile en noyant les « posts » qui leur sont défavorables sous une pluie d’autres, rédigés par leurs propres soins ou ceux de prestataires d’un nouveau genre. De nouvelles activités se créent en effet sur la toile proposant de « nettoyer » les sites. Les avocats spécialisés ne chôment pas non plus.
C’est dans ce contexte que le Tribunal de Grande Instance de Paris a rappelé, par un jugement du 13 septembre 2010, que des propos critiques à l’encontre d’une société ne sauraient faire l’objet d’une « censure ».
Une société de rénovation d’habitat se voyait reprocher sur un blog des retards, des abandons de chantiers, des dépassements de budget et une absence de communication de documents. Il était par ailleurs fait mention de différents procès intentés à cette société à travers l’hexagone. Il convient de préciser que les propos critiques visaient essentiellement les produits (en réalité les services) de la société et ne portaient atteinte ni à son honneur ni à sa considération au sens de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
La société a donc assigné, à jour fixe (procédure d’urgence), le responsable du blog sur le fondement de la responsabilité pour faute, pour demander la fermeture du blog, l’interdiction de publier sur l’internet tout autre contenu équivalent (ce qui est prudent en effet) et 110.000 euros de dommages et intérêts.
Mais c’est elle qui sera déboutée de ses demandes et, finalement, condamnée à payer 2.500 euros, au motif qu’elle ne démontre pas la faute du blogueur : les propos ne sont ni mensongers, ni excessifs, ni disproportionnés. Quant au fait de mentionner l’existence de procédures judiciaires publiques, il ne constitue pas une faute en soi, rappellent les magistrats.
Il ressort du jugement que le blogueur a volontairement mis un terme à son blog. Mais, lorsque tel n’est pas le cas, les faits imputés à l’entreprise concernée participent à son image et à son identité pour des années.
Il serait donc prudent désormais d’intégrer dans les opérations de cession d’entreprise et de marque un « audit de renommée numérique » ayant pour objet d’apprécier en valeur l’image et l’identité numérique de l’objet de l’acquisition et, le cas échéant, l’ampleur des travaux à entreprendre pour inverser une tendance même ancienne.
Frédéric GUENIN, avocat & Régis Carral, avocat associé
Article publié pour la première fois dans "La lettre fiscale, juridique, sociale, corporate" - Novembre 2010, n°32
|