Doctrine Juridique |
Internet Pratique : Plusieurs sujets préoccupent les français en ce qui concerne l’internet et le respect de leur vie privée. L’un des sujets principaux concerne l’utilisation des courriers électroniques au bureau. L’employeur peut-il l’interdire ?
Maître Frédéric Guénin : C’est effectivement une question récurrente, tant de la part des salariés que de celle des employeurs. De nombreux textes légaux et de nombreuses décisions de justice encadrent les pouvoirs de l’employeur ainsi que les droits des salariés. Pour faire simple, l’employeur peut interdire à ses salariés (ou à certains d’entre eux) l’utilisation des courriers électroniques à titre personnel, mais uniquement s’il peut démontrer qu’une telle restriction est justifiée par la nature de la tâche qu’ils ont à accomplir et est proportionnée au but recherché. Quant aux salariés, si l’utilisation à titre personnel des courriers électroniques est généralement tolérée, elle doit rester dans les limites du raisonnable et ne doit pas aboutir à mettre en danger la sécurité informatique de l’entreprise, ni sa productivité.
I.P. : Si une interdiction générale constitue-t-on donc une exception, comment l’employeur peut-il encadrer l’utilisation des courriers électroniques personnels par ses salariés ?
F.G. : Tout d’abord, il convient de préciser que l’employeur doit informer les salariés des mesures de contrôle et de surveillance qu’il met en œuvre, en ce qui concerne l’utilisation des moyens d’échanges de courriers électroniques qu’il met à leur disposition.
L’employeur doit également informer et consulter le comité d’entreprise sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés, et ce préalablement à leur mise en œuvre.
Et, si ces moyens de contrôle donnent lieu à un traitement de données à caractère personnel par l’employeur, ce dernier doit aussi adresser une déclaration de ce traitement à la CNIL sous peine, notamment, de sanctions pénales.
En pratique, de nombreuses entreprises adoptent des « chartes informatiques » ou « chartes internet », annexées à leur règlement intérieur, qui énoncent les règles d’utilisation privée et professionnelle des courriers électroniques et rappellent l’application de sanctions disciplinaires à l’encontre de contrevenants.
I.P. : Dans ces conditions, l’employeur peut-il lire les courriers électroniques de ses salariés ? Cela semble porter gravement atteinte à leur vie privée.
F.G. : Sur ce sujet encore, il y a une jurisprudence très abondante. Ce qu’il faut retenir, c’est que les correspondances privées sont protégées par le secret des correspondances. Toute atteinte étant pénalement sanctionnée. Mais, évidemment, il faut se mettre à la place de l’employeur qui paie une personne pour qu’elle travaille et, à ce titre, adresse et reçoive des courriers électroniques à titre professionnel. L’employeur peut avoir un besoin tout à fait légitime d’y accéder. Dans ces conditions, les juges ont adopté une solution considérée comme équilibrée.
Les courriers électroniques envoyés et reçus par un salarié sur sa boite à lettre professionnelle sont présumés professionnels. Pour renverser cette présomption et interdire que l’employeur y accède, il suffit de les classer dans un répertoire du type « personnel » ou « privé » ou bien qu’ils portent une telle mention en objet. A mon sens, un courrier électronique qui, d’évidence serait personnel sans toutefois porter une telle mention, devrait également être protégé. Tel serait par exemple le cas d’un courrier électronique adressé par une personne du même nom que le salarié (conjoint, enfants…). Enfin et plus simplement, il faut rappeler aux salariés qu’il leur suffit de supprimer régulièrement ce type de courrier électronique aussitôt qu’ils n’en ont plus besoin plutôt que de les conserver éternellement en archive.
I.P. : Quel est le rôle exactement de la CNIL en matière de protection de la vie privée ?
F.G. : La CNIL, Commission nationale de l’informatique et des libertés, a été créée en 1978 par la loi dite « Informatique et Libertés » pour veiller à ce que l’informatique soit au service du citoyen et ne porte pas atteinte à l'identité humaine, aux droits de l'homme, à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques. La CNIL est l’administration auprès de laquelle il faut déclarer les traitements de données à caractère personnel. Elle dispose de pouvoirs d’enquête et de sanctions administratives. Son site web (www.cnil.fr) est très bien fait, en ce qu’il expose de manière très concrète et très lisible les droits et obligations de chacun.
I.P. : Peut-on saisir la CNIL si l’on est victime d’un usage abusif de ses coordonnées personnelles ?
Bien sûr, un formulaire de plainte en ligne est même prévu à cet effet sur son site web. Il faut également mentionner le recours aux tribunaux que tout citoyen peut saisir en cas de violation par un tiers de la loi dite « Informatique et Libertés ». Des sanctions pénales et civiles sont encourues. Pour reprendre l’exemple des salariés : un salarié licencié en raison de fautes dont la preuve serait rapportée par le moyen d’un traitement de données à caractère personnel jugé illicite, parce qu’il n’aurait pas fait l’objet d’une déclaration auprès de la CNIL par exemple, obtiendra des dommages et intérêts. En effet, son licenciement sera jugé sans cause réelle et sérieuse, car la preuve ainsi rapportée par l’employeur sera écartée des débats.
I.P. : Autre sujet en rapport avec la vie privée qui préoccupe de plus en plus de personne : peut-on faire supprimer sa photo d’un site web qui l’aurait reprise, par exemple, d’un site de réseau social sur lequel on l’aurait initialement téléchargée ?
F.G. : Oui, votre image vous appartient et nul ne peut l’utiliser sans votre autorisation. Il existe des exceptions, notamment pour les images prises dans des lieux publics, comme un stade par exemple. En dehors de ces exceptions, un site français contacté pour une telle demande devrait la retirer sans faire de difficulté du fait des sanctions encourues en cas de refus. Mais, pour un site édité à l’étranger, d’une part, le droit à l’image peut ne pas exister dans le pays en question et, d’autre part, une procédure judiciaire est toujours plus complexe, coûteuse et incertaine dès lors qu’il s’agit soit d’intenter un procès à l’étranger, soit de faire exécuter la décision d’un tribunal français à l’étranger.
I.P. : A-t-on le moyen d’interdire la création d’un vrai-faux profil à son nom sur un site de réseau social ?
F.G. : Oui. Il faut relever que les litiges relatifs à l’« identité numérique » se multiplient. A ce sujet, il faudrait d’ailleurs plutôt parler de « personnalité numérique » tant les « avatars » créés sur la toile ne reflètent pas toujours qui l’on est réellement en dehors. Toujours est-il que depuis mars dernier, l’usurpation de l'identité d'un tiers ou le fait de faire usage d'une ou plusieurs données de toute nature permettant de l'identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d'autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15.000 € d'amende. Etant précisé que cette infraction est punie des mêmes peines lorsqu'elle est commise sur l’internet. Ce nouvel article du Code pénal est applicable que la victime soit une « célébrité » ou non.
Interview de Frédéric GUENIN, avocat publiée pour la première fois dans Internet Pratique n°125 de novembre 2011
|