Doctrine Juridique |
Internet Pratique : J’ai acheté un documentaire en vidéo sur un site d’archives, tel celui de l’INA, puis-je en faire profiter mon entourage ?
Frédéric Guénin : Tout dépend de ce que l’on entend par « profiter » et « entourage ». Le principe est simple : vous pouvez regarder le documentaire avec d’autres personnes si vous ne faites pas payer la séance et si le public est constitué du « cercle de famille », ce qui inclut la famille et les amis très proches. Si la copie du fichier vidéo est techniquement possible, vous pouvez la copier sous réserve que cela soit ensuite vous qui l’utilisiez. L’usage a toutefois été élargi par les tribunaux à une utilisation familiale.
A l’inverse, diffuser ou rendre accessible la vidéo sur l’internet (à partir d’un site web, d’un logiciel de pair-à-pair ou même par courrier électronique), donner la copie à d’autres personnes, etc. constitue un acte de contrefaçon.
Or, la contrefaçon est un délit pénal sanctionné, au maximum et en théorie, par 3 ans d’emprisonnement et 300.000 euros d’amende.
IP : En vacances, mon petit-fils a téléchargé sur mon ordinateur des fichiers, suis-je responsable ?
F. G. : S’il l’a fait pour vous : oui ! Vous serez co-auteur ou complice de l’infraction, voire receleur.
Plus sérieusement, s’il l’a fait à votre insu, depuis l’entrée en vigueur de la loi dite « HADOPI » vous êtes responsable.
En effet, la personne (en pratique : les parents, l’entreprise…) qui, par sa négligence du fait de l’absence ou d’une mauvaise sécurisation de son accès à l’internet, a permis à celui qui a téléchargé de se connecter à l’internet, risque également des poursuites : c’est la riposte graduée.
IP : Qui va m’avertir d’un manquement à la règle : l’entreprise concernée par le piratage ou la HADOPI ?
F. G. : L’auteur ou le titulaire des droits d’auteur victime du piratage peut bien entendu agir à votre encontre. Des personnes ont déjà fait l’objet de sanctions civiles et pénales pour avoir téléchargé, en quantité il est vrai, des œuvres protégées.
La procédure de l’HADOPI est la suivante. Dans un premier temps, vous recevrez un e-mail. Si, dans les six mois qui suivent, la négligence (permettre des téléchargements illégaux) est renouvelée, vous recevrez un second e-mail doublé d’une lettre recommandée A.R.. En substance, ces e-mails et cette lettre présentent un rappel de la loi : les condamnations encourues, l’existence d’une offre légale, l’existence de logiciels de sécurisation ainsi que le danger que constitue la contrefaçon pour la création artistique.
Si, dans l’année qui suit la réception de cette lettre recommandée, la connexion sert pour de nouveaux téléchargements illicites, vous serez passible des peines suivantes : une contravention de 5° classe (1.500 euros, multiplié par 5 pour une entreprise ou une association) et la suspension de votre accès à l’internet pour une durée maximale d’un mois.
Pour déterminer la durée de suspension, les juges doivent prendre « en compte les circonstances et la gravité de l'infraction ainsi que la personnalité de son auteur, et notamment l'activité professionnelle ou sociale de celui-ci, ainsi que sa situation socio-économique ».
Vous ne pourrez pas être privé des services de télévision et de téléphonie associés à l’accès internet, mais continuerez à payer le prix intégral de votre abonnement. Vous ne pourrez pas souscrire un autre abonnement.
IP : J’ai reçu un courrier d’avertissement. Qu'en fais-je ? Faut-il que je réponde ?
F. G. : Si vous contestez les faits qui vous sont imputés, il est fortement recommandé d’y répondre. D’ailleurs, la loi le prévoit.
En effet, les recommandations adressées par la HADOPI mentionnent la date et l'heure auxquelles les faits susceptibles de constituer un manquement à l'obligation ont été constatés. En revanche, elles ne divulguent pas le contenu des œuvres ou objets protégés concernés par ce manquement. Elles indiquent « les coordonnées téléphoniques, postales et électroniques où leur destinataire peut adresser, s'il le souhaite, des observations à la commission de protection des droits [la HADOPI] et obtenir, s'il en formule la demande expresse, des précisions sur le contenu des œuvres ou objets protégés concernés par le manquement qui lui est reproché ».
La HADOPI vous informera également de l’existence de moyens de sécurisation permettant de prévenir de tels faits.
Toutefois, à ce jour, la HADOPI, qui doit attribuer un label permettant d’identifier les différents moyens de sécurisation existants sûrs pour les internautes, n’a pas encore labellisé de produits. Ce qui ne signifie pas que vous ne pouvez pas vous fier aux produits de sécurisation déjà existants sur le marché et, notamment, ceux proposés par votre fournisseur d’accès.
IP : La police peut-elle faire une perquisition à mon domicile et saisir mes ordinateurs ?
F. G. : Oui, en cas de commission de faits délictueux, tels que des actes de contrefaçon, une perquisition peut être ordonnée dans le cadre d’une commission rogatoire par un magistrat instructeur. Mais en pratique en matière de téléchargement illicite, si cette perquisition a lieu, c'est que vous êtes déjà un contrefacteur patenté, et ça vous le savez bien !
IP : Mon fournisseur d’accès m’a offert gracieusement un espace de stockage personnel, accessible par mot de passe. J’y donne accès à des tiers qui téléchargent des œuvres protégées. Qu’est-ce que je risque ?
F. G. : En théorie, vous risquez les peines applicables pour des actes de contrefaçon (3 ans d’emprisonnement et 300.000 euros d’amende) outre des dommages et intérêts aux ayants-droits victimes de vos agissements. En pratique, ce type de service, qui constitue une sorte de « pair-à-pair dissimulé », pose un vrai problème d’acquisition des moyens de preuve à votre encontre… Ce qui sera d’autant plus vrai si l’espace de stockage est fourni par un prestataire étranger.
E.A. : Mon fournisseur d’accès peut-il supprimer mon accès à l’internet si je n’obtempère pas à cesser de télécharger illégalement ?
F. G. : Les conditions générales de vente des fournisseurs d’accès stipulent une obligation de respecter la réglementation en vigueur à la charge de leurs clients internautes. Si cette obligation a un caractère didactique, elle permet également à un fournisseur d’accès de résilier le contrat d’abonnement en cas de manquement du client.
E.A. : J’ai acheté des fichiers musicaux sur un site payant. Suis-je dans la légalité ? En effet, sur certains sites, les prix sont bien moins chers que sur d’autres.
F. G. : Il faut bien faire attention, et la HADOPI l’explique à juste raison : le fait de payer pour télécharger une chanson, un film ou toute autre œuvre protégée ne signifie pas que l’offre proposée par le site est légale ! En effet, certains sites présentent toutes les apparences de la légalité pour tromper le public souhaitant acheter légalement et s’enrichissent ainsi aux dépens de tous.
Pour éviter de telles situations, l’une des missions de la HADOPI est d’attribuer un « label » aux offres proposées par les sites. Ce label permettra aux usagers de leurs services en ligne d’identifier clairement le caractère légal de ces offres.
La vérification pourra être très prochainement faite également sur le portail de référencement de ces offres légales que la HADOPI doit mettre en place.
Ce que risque :
Celui qui ne surveille pas l’usage de sa connexion à l’internet :
- la suspension de son accès à l’internet pendant un mois,
- une amende de 1.500 euros.
Le contrefacteur :
- la suspension de son accès à l’internet pendant un an,
- une condamnation à des dommages et intérêts,
- une amende de 300.000 euros maximum,
- une peine d’emprisonnement de 3 ans maximum.
Interview de Frédéric GUENIN, avocat publiée pour la première fois dans Internet Pratique n°121 de juin 2011
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