Doctrine Juridique |
Internet Pratique : Est-il vrai qu’une personne qui paie pour télécharger de la musique, de la vidéo ou toute autre œuvre de l’esprit protégée, sur un site web commercial n’est pas en faute et, donc, ne risque aucune poursuite de l’HADOPI ?
Frédéric Guénin : Hélas, cela est faux ! Il existe de nombreux sites web qui, pour revêtir toutes les apparences de la respectabilité, n’hésitent pas à faire payer les internautes alors qu’ils sont de parfaits sites pirates… Le risque pour l’internaute à fréquenter de tels sites n’est d’ailleurs pas nul : virus et logiciels malveillants, détournement et revente de coordonnées bancaires, etc. Par hypothèse, le pirate n’a ni foi ni loi, même avec ceux avec lesquels il commerce. Pour s’en prémunir, il faut vérifier sur le site web marchand la présence du logo de la HADOPI. Mais, bien entendu, un site pirate pourrait reproduire ce logo. Le mieux consiste donc à se rendre sur le site de la HADOPI (www.hadopi.fr) pour vérifier la liste des sites proposant, au moins pour partie, une offre labellisée (et donc légale). Les premiers sites ont reçu ce label le 9 juin dernier. Il convient de rappeler que la personne qui télécharge de manière illicite encourt des sanctions civiles et pénales pour contrefaçon et la personne dont l’abonnement est utilisé à cette fin la suspension de son accès à l’internet et une amende (voir Internet Pratique n°121 – juin 2011, p. 37).
IP : Si l’on possède déjà un CD audio, risque-t-on une sanction à télécharger ses morceaux sur un site pirate ou est-ce considéré comme une sauvegarde ?
F. G. : C’est une question juridique complexe. En droit, si vous possédez un CD, vous pouvez en faire une copie sur tout support pour l’écouter sur votre ordinateur personnel, dans votre voiture sur une clé USB, dans votre maison de campagne sur un autre CD et, pourquoi pas, sur un vieux lecteur de cassettes. C’est une « copie privée ». Mais pour bénéficier du régime de l’exception de copie privée, les tribunaux ont jugé que l'exemplaire de l'œuvre, à partir duquel la copie est réalisée, doit avoir lui-même été acquis licitement. Autrement dit, mieux vaut créer la copie de votre chanson préférée à partir de votre CD audio plutôt que d’aller la télécharger sur un site pirate.
IP : Quelles sont les conditions de ce qu'on appelle « le domaine public », c'est-à-dire quelles œuvres sont téléchargeables sans devoir quoi que ce soit à quiconque ?
F. G. : Le domaine public est constitué :
- des œuvres qui ne revêtent pas un caractère original, c'est-à-dire qui ne portent pas l’« empreinte de la personnalité de leur auteur » selon l’appréciation souveraine des tribunaux.
Dans ce cas, aucun droit d’auteur ne vient les protéger,
- des œuvres originales dont les droits d’auteur sont échus. Ce qui advient 70 ans après le 1er janvier qui suit le décès de l’auteur.
Plus aucune redevance n’est due aux ayant-droits de l’auteur pour l’utilisation de l’œuvre, même à titre commercial. Ainsi, par exemple, les deux adaptations cinématographiques qui vont sortir au cinéma à la rentrée du livre La Guerre des Boutons, de Louis Pergaud, « tombé dans le domaine public ». Toutefois, le droit moral de l’auteur est imprescriptible (droit au nom, respect de l’intégrité de l’œuvre notamment).
Cependant, il faut prendre garde au fait que si Mozart est décédé en 1791, le dernier enregistrement de son requiem est encore protégé pour ce qui concerne ce que l’on appelle les « droits voisins du droit d’auteur » (droit des artistes-interprètes et du producteur).
Interview de Frédéric GUENIN, avocat publiée pour la première fois dans Internet Pratique n°124 d'octobre 2011
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